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Les muses de l'orée
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14 août 2009

Les lucioles 6.15

XV.

 

 

 

Il y eut bien-sûr des mots et des mots échangés, comme autant de missives omises ou retrouvées, ceux-là sont d’autres fables. Il y eut des arrêts nécessaires à des stations différentes aussi. Et au fil du parcours, autant de replongées graduelles et imminentes dans nos villes d’avant. Comme à New Monopolis, la cité de nos études universitaires, capitale de ce futur monde fédéral en devenir.

Et là tout à coup cette scène sur ce pont de bois dont on avait oublié l’âge et qui traversait le cours d’eau vers la tour ancienne, une ruine, le dernier vestige du château de la Belle au Bois Dormant. C’était un jeune peintre, une femme aux cheveux noirs, du pays du Soleil Levant. Les touristes n’y prêtaient guère attention. Je ne voyais que cela. Elle dessinait au fusain le portrait d’un homme qui posait devant elle et qui devait avoir à peu près son âge. Et moi je n’arrivais pas à détacher mes yeux de ce couple inaccompli. Le portrait était fidèle, avec cependant cette finesse graphique japonaise manga qui sait quand elle est ultime rendre les choses d’une perfection d’un autre monde... Jusqu’à faire paraître la réalité prise en modèle bien terne, bien dérisoire, bien négligeable pour les plus passionnellement épris d'écrans, les prisonniers du virtuel : tragédie d'aujourd'hui. Et en y regardant plus profond l'image esquissée y perdait : plus belle, oui, mais plus froide. L’artiste d’habitude si habile à retransmettre l’émotion dans ses toiles d’un seul de ses traits appliqués à l’extrême, ne parvenait pas à redonner l’intensité du regard. Elle s’acharnait et s’acharnait, pourtant sûre de sa maîtrise technique. Et pour la première fois de sa carrière de portraitiste elle dut se résigner à prendre sa gomme. Mais au premier coup donné, le papier se déchira. Elle sanglota beaucoup. Elle était si jeune. Elle n’avait jamais auparavant rencontré cette expression... Puis bien vite elle se ravisa et reprit son ouvrage, une nouvelle feuille blanc cassé sous ses doigts sublimement fins. Lui souriait sur le dessin. Il était beau. Il souriait dans la vie aussi. Il était magnifique. Il devait se dire qu’elle avait beau répondre mille fois à ses sourires, et jusqu’à pleurer devant son corps éternellement troublé, était-il seulement possible qu’elle daigne s’approcher un jour, juste un peu plus ? Qu’elle voie en lui l’image de cet amour amoureux dont il avait pressenti tant de fois l’avant-goût sans le connaître pleinement, fusionnellement ? Aurait-elle le courage, la témérité d’affronter toutes les craintes à affronter pour pouvoir parvenir dans ses bras à jamais ? Pourquoi lui faire entrevoir des bribes de beauté et le laisser partir désemparé ? Ils ne feraient donc que se croiser ? Tant de cruauté perfide dans une apparence féminine aussi affable, une invitation au désir... Il savait qu’il devait avoir honte de la mesquinerie d’une telle pensée mais elle s’imposait à lui, malheureuse, sans qu’il puisse rien y faire, comme une maladie... Il avait peur, peur de lui surtout, et de la vie plus encore... mais il ne disait rien, comme par maladie... Il était assis dans un fauteuil roulant.

Je partis les yeux en larmes. Sans doute parce que cette fois je ne pouvais que trop le comprendre...

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