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Les muses de l'orée
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13 août 2009

Les lucioles 6.13

XIII.

 

 

 

Sa voix qui avait émergé du brouhaha des théories diverses et d’autres conversations plus oisives, cette voix si longtemps relayée par les rythmes et les nuances de ses lettres introspectives aux provenances lointaines et exotiques, fut couverte tout à coup par le sifflement aigu et sonore de la cheminée noire et fer d’une locomotive sans âge. Bientôt par toutes les vitres du wagon, on ne put plus voir qu’une épaisse fumée sombre sans tristesse qui recouvrit tout l’édifice modern style de la gare et le seul quai, vide. Tous les voyageurs avaient embarqué. Le jeu des pistons et des bielles emportant les roues avait mis en branle la machine prise de trépidations impatientes.

Puis le mouvement se régularisa et déjà nous poursuivions notre route.

Elle me demanda de la suivre. Nous nous assîmes face à face bien à notre aise dans des canapés de velours bordeaux de part et d’autre d’une petite table en bois des Indes jonchée de papier à lettres blanc. Il y avait un encrier aussi, d’une forme sinueuse et organique avec dedans une plume de paon majestueuse et irisée. Bleu, vert, mauve. Quelque chose comme un vase et sa fleur.

« Tiens, regarde, je suis sûre que ça t’intéressera. C’est de l’encre à voler. Une trouvaille prodigieuse qui existe partout et tout le temps sans pourtant être réellement là, depuis qu’une âme aime écrire à une autre âme ou à l’univers entier. Une évanescence. Mais il me semble que tu en as fait l’expérience, n’est-ce pas ? J’espère que tu me pardonneras. C’était le seul moyen de te rencontrer dans ton exil, tu sais.

- Je serais revenue de toute façon. Tu n’auras fait que m’aider à choisir le chemin à parcourir pour retrouver mes pas, m’aider à le tracer avec bonheur de manière plus évidente.

- Peut-être.

- Certainement.

- Sans doute.

- Sans aucun doute. Et toi, tu rentres au pays provisoirement comme toujours ?

- Provisoirement.»

Sophie qui ne change pas, ma bonne Sophie avec sa fossette à la joue droite quand elle sourit et ses airs pleins d’astuce de souris amusée. Et toujours ce sanglot invisible parce que l’on s’efforce de ne pas le faire paraître qui prend la gorge dès lors que l’on peut distinguer ses yeux vert clair espiègles et sérieux aussitôt qu’elle arrive, car on sait qu’elle va repartir presque immédiatement. Et que de nouveau il va falloir attendre en retenant son chagrin. Il faut alors se dépêcher de réunir en nous toutes les facultés d’oubli du péjoratif, du pessimiste, du négatif en un mot, et savoir ETRE LA au moment présent, concentrer en soi toute sa conscience, toute la conscience accessible, sur l’instant donné, le seul opportun à la rencontre matérielle, le seul auquel il soit offert de nous voir ensemble en un même temps, un même lieu… jusqu’à une autre fois à savoir rendre plus précieuse. Elle pourrait venir plus souvent, plus facilement, me dira-t-on : pourquoi n’utilise-t-elle jamais la téléportation ? Elle n’aime pas cette facilité-là, trop dénuée de poésie, répondra-elle. Allez convaincre cette voyageuse au long cours de renoncer à cette course-poursuite continue des paysages qui se chevauchent et lui révèlent un peu de leur intimité instantanée en même temps qu’ils lui apprennent un peu de la sienne! Elle ne vous entendra même pas. Mais sans malice pour autant. Il y a en elle ce besoin intrinsèque, cette nécessité physiologique de ressentir la mobilité, le mouvement, mais jamais à l’improviste : elle part vers un point défini par elle à l’avance, peut-être pour ne pas se perdre, peut-être pour essayer de maîtriser la vie. C’est une itinerrante. Alors s’écrire…

 

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