Les lucioles 6.12
XII.
Lorsque je pénétrai dans le wagon je fus prise d’un sentiment de
nostalgie profond, comme si je m’introduisais dans le monde d’un roman lu sans
plus très bien m’en rappeler par la suite. Un monde susceptible d’être
visualisé en moi-même mais autrement que par le souvenir d’une expérience vécue
et que j’aurais su faire mien le temps d’une lecture. Puis déposé dans les
méandres et les mécanismes complexes de la mémoire. D’où il ressurgissait pour
se faire réel. Là des Philéas Fogg et autres gentlemen et ladies
s’entretenaient en prenant le thé dans des tasses en porcelaine de Chine sur
tous les tours du monde envisageables à l’époque contemporaine et tous les
autres qu’il restait à fantasmer et à écrire. J’aimais ce raffinement désuet et
courtois, cette sensation que de chaque parole échangée dans un vieil anglais
devenu purement littéraire aujourd’hui allait naître une trouvaille
merveilleuse et scientifique, poétique par la portée universelle et grandiose
de tous les possibles à offrir après tant d’abstractions et de rigueurs
mathématiques et cérébrales... Un télescope, une roue à aube, une horloge à
balancier aux mécaniques alambiquées, une élégie sonore et tridimensionnelle,
un cerf-volant cosmique, un nouveau système de vol antigravitationnel à l’état
expérimental. Et pourquoi pas la Lune ?
Une intonation bienveillante me héla.
« C’est toi ?
- Sophie ! »
Comment avais-je pu ne pas
en être certaine !